Visite du Musée Franco Sbarro

Introduction

Cette collection exceptionnelle d’engins tous uniques a connu une existence un peu tumultueuse, avec un premier projet de musée qui n’aboutira pas, un stockage en hangar, et a failli disparaitre et passer au marteau pilon. Heureusement, Jean-Pierre Nylin, par ailleurs collectionneur (sa collection est exposée dans les communs du château de Vernon), a sauvé l’ensemble et construit un bâtiment spécifique pour l’abriter, à quelques centaines de mètres de sa propre collection d’autos anciennes.

Les véhicules sont mis en valeur dans un grand bâtiment clair et agréable. Outre les voitures et motos, le musée Franco Sbarro expose aussi quelques moules, aidant à comprendre le process de création. Compte tenu du caractère unique de la plupart des véhicules exposés, notre visite sera surtout en images. D’autre part, du fait de la variété des projets et du foisonnement de concepts, j’ai pris une approche thématique dans la présentation, plutôt que chronologique. Notez aussi que cet article ne mentionne qu’une partie de la collection, composée d’une centaine de véhicules.

Mes coups de coeur   

Le Musée Franco Sbarro ne présente pratiquement que des prototypes, donc ce n’est pas la rareté qui guide le choix des coups de cœur, plutôt ici l’esthétique ou la vision et la passion :

  • Le coté unique des véhicules présentés
  • La Lancia IONOS, qui aurait pu être une digne suite à la Stratos
  • Le Family-Monster-Drag, sans doute l’engin le plus délirant du musée
  • Les motos à roue orbitale, toujours futuristes après plus de 30 ans

Franco Sbarro

Francesco Zefferino Sbarro, plus connu sous le nom de Franco Sbarro, est né le 27 février 1939 à Presicce, dans les Pouilles au sud de l’Italie est un dessinateur et constructeur de voitures. Après des études littéraires, il s’installe en Suisse en 1957, d’abord à Neuchâtel, puis à Grandson où il rachète un garage. Après avoir rencontré Georges Filipinetti, patron d’une célèbre écurie de course suisse, il deviendra chef mécanicien de l’écurie, où il entretient et restaure des voitures de course, et crée sa première auto sur base d’une VW Karmann Ghia.
II lance sa propre entreprise en 1968, dessinant et construisant des autos. Il crée des modèles uniques pour des clients privés ou professionnels, réalise des études de style et des études techniques pour de nombreux constructeurs, alliant développement de carrosseries et préparations moteurs, construit des répliques réinterprétées à son gout d’autos célèbres (BMW 328, Bugatti Royale…) parfois produites en petite série, développe des show cars exposés dans les grands salons et notamment à Genève. Il conçoit aussi des engins originaux mettant en œuvre de nombreux brevets. En 1992, il fonde l’Espace Sbarro, une école originale où les étudiants apprennent les techniques de l’automobile, mécanique et carrosserie, et réalisent chaque année un concept exposé au salon de Genève. Plusieurs des modèles exposés ici sont d’ailleurs le fruit de ce travail.

Études constructeurs

Sbarro a développé plusieurs études pour des constructeurs renommés. Dans certains cas, il s’agit de projets commandités par les constructeurs, soit pour étudier un concept, tester les réactions du public, exposer sur des salons. Certaines études ont pu déboucher sur des modèles de série. Mais Franco Sbarro pouvait aussi étudier des concepts ou pousser des idées sur des bases constructeurs, sans sollicitation de ces derniers, et éventuellement les proposer ensuite. Un moyen de montrer son savoir-faire et de développer la relation. Les constructeurs français sont notamment bien représentés par plusieurs projets exposés, mais aussi Alfa Romeo et Lancia. Citons quelques prototypes particulièrement intéressants.

Ionos (1997) en relation avec Lancia est une étude pour un modèles succédant à la mythique Stratos. La ligne est spectaculaire, mais Sbarro jugeant le moteur 5 cylindres fourni par Lancia trop faible, il en demande un second et les accouple pour former un V10 inversé de 4,8L et 400 chevaux. Une transmission intégrale et une boite Porsche complètent l’ensemble. Double motorisation aussi pour l’Issima, mais pour Alfa Romeo cette fois avec 2 V6 Alfa 3L pour une puissance totale de 440 ch, dans un joli spider 2 places. Pour Citroën, Sbarro étudie une déclinaison du cabriolet C3 Pluriel, équipée d’un V6 de plus de 200 ch.

Crysalis, présenté en 1998, est un joli roadster tout bleu, moteur central et toit escamotable en dur. Coté Renault, c’est un coupé Mégane que Sbarro équipe d’un V6 en position centrale arrière, comme les R5 Turbo et Clio V6. Autre engin qui décoiffe, le petit roadster sur base Smart, avec son cockpit bulle, et capable de filer à 180 km/h.

Projets commandités

En dehors de constructeurs, Franco Sbarro a pu aussi développer des concepts pour des entreprises, souvent dans des buts promotionnels, comme le projet pour Feu Vert (chaine de centres auto) pour illustrer un catalogue et animer des réunions internes. Ou la barquette 3 places pour Delphi.

Sbarro s’était aussi spécialisé dans les cabriolets sur base de monospaces. Le premier a été l’Espider sur base d’un Renault Espace V6, et qui a servi à transporter des invités sur le circuit du Mans en 1998. Il y eut ensuite d’autres projets de la même veine, comme le Proteus pour MMA (compagnie d’assurances) ou sur base VW Sharan et adapté aux paraplégiques avec des commandes par Joystick. En 2001, Wolfshark embarque un V8 Audi de 350 ch dans un châssis monocoque renforcé par un arceau tubulaire.

Répliques

Parmi les « répliques » que Franco Sbarro a développées, on en trouve 2 exposées ici, d’esprits assez différents. La BMW 328 (1974) est une réplique assez proche de l’originale mais évidemment modernisée sur le plan châssis et mécanique. Sbarro en construira plus d’une centaine, avec différents moteurs BMW selon le souhait des acheteurs. Celle du musée, avec un 4 cylindres de 2L et 110 ch flirtait avec les 250 km/h grâce à un poids contenu de 900Kg.

La Royal Event est dans l’idée de Sbarro une réinterprétation moderne de la Bugatti Royale, mais très éloignée du style de l’originale. Par contre, on retrouve la démesure et la recherche du luxe. 2 V8 de 3,5L sont accouplés pour délivrer 450 ch, bien nécessaires pour déplacer le cabriolet de près de 2 tonnes. Le moteur est présenté dans le style des années 1920/30, avec ses carters en aluminium bouchonné.

Roadsters et cabriolets

Pour les designers automobiles, les sportives et notamment les cabriolets sont un exercice de style favori, laissant généralement plus de place à la créativité que pour une berline ou une citadine. Comme souvent, Sbarro développe un châssis poutre habillé de monocoque en fibre de verre. C’est le cas pour Oxalys (la jaune), un pur roadster, pas de capote, pas de vitres latérales, juste un pare-brise saute-vent dont le cadre se prolonge pour supporter les rétroviseurs. Un 6 cylindres en ligne de plus de 300 ch issu de la BMW M5 anime ce roadster de 900 kg, assurant des performances époustouflantes.

Minotor (bleu nuit) est construit autour d’un châssis de BMW 750 sérieusement raccourci et son V12. Cette fois, l’auto pèse 1600 kg, mais avec 300 ch, les performances restent très élevées. Sayta est plus compact, plus spartiate, avec un esprit circuit. Plus léger (700 kg), il propulsé par un 4 cylindres 1,6L d’origine Citroën délivrant 130ch, de quoi procurer beaucoup de plaisir.

Coupés

Les coupés sont aussi un exercice apprécié des designers, donc il n’est pas étonnant d’en trouver plusieurs au musée Franco Sbarro. En 1973, Sbarro présente SV1 (rouge) qui se veut une étude sur la sécurité, mais n’en oublie pas les performances avec un moteur rotatif d’origine NSU à 4 rotors développant 300 ch. SV1 donnera naissance à Stash qui connaitra plusieurs déclinaisons carrosserie et moteur. On retrouve au musée une version Targa (gris clair, toit amovible, arceau de sécurité) équipée d’un V8 Mercedes de 6,4L pour 286 ch. Le célèbre couturier Pierre Cardin exposera au salon de Paris 1975 un coupé Stash (noir) dont il a réaménagé l’intérieur.

Isatis et GT12 relèvent plus de la supercar que du coupé classique. Isatis (bleue, 1993) tient une place à part, c’est le 1er projet développé dans le cadre de l’école Sbarro, les noms des élèves figurent sous le capot moteur. Châssis Dual Frame, V12 BMW à l’avant, seulement 1350 kg pour 300 ch. L’intérieur aussi est original, avec sa console centrale dépouillée et l’instrumentation regroupée au centre du volant. On imagine bien GT12 (grise) sur la piste des 24 Heures du Mans. Toujours légère (1450kg) avec un V12 Mercedes de 6L et 600ch, GT12 est présentée à Genève en 2000 et remportera le 1er prix pour le centenaire du salon suisse.

Ville et loisirs

Mais Sbarro ne s’est pas intéressé qu’à des voitures sportives ou luxueuses, il a aussi proposé des études de citadines comme Mandarine (le nom donne la couleur, ou inversement), compacte offrant 4 places avec un petit 3 cylindres de 90 ch, ou encore Carville (le nom décrit la fonction), étudiée en versions thermique et électrique. Malheureusement, la technologie de batteries en 1977 sur base plomb ou cadmium-Nickel étaient trop chères pour assurer la viabilité, même si une quarantaine de modèles sera construite. Windy est une petite voiture de loisir dans l’esprit Citroën Méhari ou Buggy.

Délires…

Pas certain que Franco Sbarro approuve ce titre mais j’ai ici classé des engins hors normes, par leur style ou leur mécanique. Commençons par la Super-Twelve de 1982, une petite auto compacte et légère (800 kg), mais motorisée par un 12 cylindres comme le laisse supposer son nom. Sauf qu’il s’agit ici de deux 6 cylindres Kawazaki de 1300 cm3 chacun, placés en position centrale arrière, revendiquant une puissance totale de 250 ch. Mais contrairement à d’autres développements cités plus haut, ces 2 moteurs restent indépendants, chacun relié à une roue arrière et conservant sa boite de vitesse, les 2 boites étant commandées par un seul levier. On peut imaginer une conduite plutôt délicate ! Les lamelles de la calandre, la peinture dégradée (signée Andreini, shaper de planches de surf), les ailes arrière élargies donnent à l’auto beaucoup de caractère.

La Bi-Moto Scorpius (2000) possède aussi 2 moteurs de moto, des 4 cylindres Yamaha de 1000 cm3 cette fois qui fournissent 260 ch. La particularité de l’engin est que la caisse s’incline dans les virages, comme une moto, procurant des sensations fortes, d’autant que les 2 passagers de la Scorpius sont au ras du bitume, dans un habitacle totalement dépouillé. Beaucoup plus gros, le Quatre x Quatre + Deux présenté en 2018 pèse 2 tonnes et dispose d’un moteur Porsche 4,5L biturbo de 400 ch. Le tableau de bord vient aussi de chez Porsche. Particularité, les 2 roues supplémentaires (d’où le +2) sont dans les flancs en mode « normal », mais peuvent descendre électriquement et aider à la motricité en cas de difficulté (boue par exemple) avec leurs moteurs électriques. La plus grosse barre avant tourne pour aider à grimper des monticules !

Mais il y a encore plus gros et plus délirant avec le Family-Monster-Drag, ou le dragster en famille ! L’engin, équipé d’un V12 Rolls Royce Merlin d’avion de 37 litres (oui, pas de virgule manquante !!!) développant 2200 ch, pèse 5 tonnes et permet d’embarquer 4 passagers (plus le pilote) pour des séances d’accélération qui doivent décoiffer…

Roue orbitale et châssis Dual Frame

En 1989, Sbarro présente un concept révolutionnaire avec la roue orbitale ou roue sans moyeu. On pourrait dire qu’il réinvente la roue ! La jante qui accueille le pneu tourne autour d’une partie fixe grâce à un roulement de grande dimension, et cette partie fixe reçoit les éléments de suspension. La vision est spectaculaire car la roue est « vide », ce qui est évidemment très inhabituel. Ce concept sera appliqué à des motos carénées, ce qui renforce leur coté futuriste, même encore aujourd’hui plus de 30 ans après leur présentation.

Mais c’est surtout Osmos, une grosse GT équipée d’un V12 Jaguar de 350 ch qui servit de laboratoire roulant pour le développement. En 2000, Sbarro présente Aero, un autre concept de moto à roue orbitale, avec un look de side-car, de gros ailerons, et qui ne pouvait tourner que sur la droite vu sa configuration particulière ! Le pilote était littéralement intégré dans le carénage de l’engin. Bien que des brevets aient été déposés et une société créée pour son développement, Sbarro se désintéressera de la roue orbitale.

Toutefois, il reprend le concept pour l’Orbitale Hybrid en 2009, un petit roadster biplace aux roues arrières reserrées, qui combine moteur thermique et moteur électrique. Le 6 cylindres Honda de 1000 cm3, placé à l’arrière, développe 150 ch. L’auto embarque aussi des moteurs électriques, logés au centre des roues arrière dans l’espace libéré par l’absence de moyeu. Les petits ailerons aérodynamiques à l’avant traversent l’espace vide au centre de la roue !

L’autre grande invention brevetée par Franco Sbarro est le châssis Dual Frame. L’idée est de séparer les fonctions mécaniques (châssis poutre, moteur, boite, suspensions) et l’habillage comportant l’habitacle et la carrosserie en matériaux composites. Utilisé sur de nombreux concepts Sbarro, cette solution permet des voitures à la fois très rigides et très légères. Elle permet aussi une grande liberté dans le design des modèles, ce qui est idéal pour des prototypes ou de petites séries.

Conclusion

La visite du Musée Franco Sbarro est une série de découvertes plus étonnantes les unes que les autres, des engins que vous n’avez probablement jamais vu, ou peut être juste aperçu sur un salon, puisque les modèles présentés sont pratiquement tous uniques. On constate combien l’homme était prolifique, original et non conformiste. Pour beaucoup de ces autos, on aurait aimé les voir un jour en production, même en petite série. Et si vous souhaitez encore plus de détails sur les modèles exposés, les autres créations de Franco Sbarro ou le concepteur lui-même, le site « Franco Sbarro L’autre façon de concevoir l’automobile » est une mine d’informations.

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Les musées sont des lieux vivants, et donc le contenu ou la disposition peut avoir changé entre la publication de cet article et votre visite. La disposition peut être différente, des voitures peuvent être absentes (révision, entretien, prêt…) et de nouvelles ont pu rejoindre l’exposition.